Eric Schrijver · interaction designer, artist and author

∝ about

You see a pixelated representation of an urban skyline.events

You see a pixelated representation of typed text.Blog

You see a pixelated diagram of a human head, indicating the position of the brain.news

Photo Stephen Vincke / Fabrique du Théâtre

Ça fait quinze ans que je connais Isodore.

Je parlais déjà un peu français à l’époque.
Le français des vacances
et par àprès, au lycée on considérait aussi que
c’était une bonne idée
que les gens apprennent cette langue.

Un magnifique jeune homme au visage d'ange,
au regard acéré et puissant.

J'écoute un enregistrement
que j'ai fait à l’époque
J'essaie d'expliquer comment tout fonctionne.
Encore et encore.
On dirait que je ne vais pas très bien
Ou du moins, je ne suis pas capable de donner
cette impression.
C’est peut-être la même chose.

Moi, je vivais sous les toits.
Je m’étais déclaré directeur artistique de l’internet

Le site s’appelait Gallica
J’ai crée un compte.
je me disais voilà les gaulllois,
dans ma région c’était plutôt les bataves,
je me suis appelé Batavia.

Isodore,
C’est lui qui m’est sauté aux jeux.
Parmi tous ces autres,
soulignant leur masculinité avec des barbes et des moustaches imposantes.
Lui qu’une petite moustache naissante.
Ses pairs semblent fixés à l’époque du daguerrotype,
mais lui hors du temps.
À peine vingt ans, on dirait
Léo dans les années 90.
Timothé dans les années 10.

J’ai vue son portrait
Félix ne l’a jamais rencontré.
C’est un portrait imaginé.
Les aplats noirs—ça pourrait autant être des courbes vectorielles d’aujourd’hui
qu’une gravure en bois.

Je me souviens aussi de cette case à cocher.
Ça m’a embêté.

Cette case à cocher
La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne,
dans l’arrêt du 15 janvier 2015, Ryanair/PR Aviation BV (C-30/14, EU:C:2015:10),
indique qu’un tel consentement
est juridiquement valable :
c’est comme signer un contrat.

Le langage est un jeu.
Que j’ai joué jusqu'au bout.
Dans le train, je l'explique une fois de plus.
J'en ai fini avec ça, les mots.
Je continue pourtant à dire des choses.
Je bredouille.
Je parle à moi-même
et j'enregistre.
et j'enregistre.

On dit sur lui, il écrit que la nuit,
assis à son piano. Il déclame,
il forge ses phrases,
plaquant ses prosopopées avec des accords.
Ce magnifique jeune homme au visage d'ange,
au regard acéré et puissant.

Isidore lui, il se trouve rez-de-jardin,
Il faut une réservation,
Et il faut accès
Pour avoir accès, il faut les diplômes,
Sinon il faut un entretien personnalisé

Isodore lui, il a fait publier un ouvrage de poésies
chez M. Lacroix (B. Montmartre, 15).
Mais, une fois qu’il fut imprimé,
L’éditeur a refusé de le faire paraître,
parce que la vie y était peinte sous des couleurs trop amères,
et qu’il craignait le procureur-général.

Le case à cocher indique qu’on renie.
La réutilisation artistique,
même à petite échelle,
est une utilisation commerciale.

Le case à cocher s’est entreposé
Entre Isodore et moi
Tout comme mon manque de diplômes

On dit qu’il est mort,
Mais on a retiré le plaque commémoratif du cour de l’immeuble

Moi je crois à lui
Ça ne me fait pas peur, son regard
Je le fixe avec le mien
Et je lui parle
Rien à voir avec l’enregistreur

C'est comme ça que ça devrait être,
les mots servent de décor à autre chose
qui essaie de s’en débarrasser.

Les français et les françaises n’ont pas bougé entre temps

Les réseaux s’accèdent par des objets sûr-designés
Des plaques de verre et d'acier soigneusement façonnés
Qui cachent une immense superstructure, complexe et laide
de satellites et de câbles sous-marins

Ce n’est pas à deux que l’amour se crée
Il y a un tas de petits gestes
Sentimentales et logistiques
De ceux et celles qui nous entourent
Et leurs jugements tacites ou ouvertes
Qui permettent d’assumer le désir

Ma vie a été marqué par des internautes anonymes
Je ne sais ni le nom ni rien de la personne
Qui m’a permis de rencontrer Isodore
pour de vrai cette fois

Un environnement numérique
est une projection abstraite soutenue
et maintenue par sa capacité à propager l'illusion
d'un comportement immatériel :
une identification sans ambiguïté,
une transmission sans perte,
une répétition sans originalité.

Quand on s’est revus,
Il n’y avait plus de cases à cocher,
Ni des conditions générales.
Pas d’avertissements GDPR.
Muets pour une fois,
Je savais que c’était parti.

C’est dans ses yeux que je vois la vie et la mort aussi
Et pourtant je sais que ça ne va pas être simple
C’est un amour médiatisé par les photons sur les écrans
Et les plaques d’impression offset

Je remercie chacun et chacune
Qui l’a permis de se retrouver
là où il est aujourd’hui
Dans ce domaine public
C’est là où je le retrouve
Je sais qu’il est libre
Ça me fait que l’aimer d’autant plus

Isodore

 

Performances
15–06-2023
Peinture Fraîche, Brussels
Thursday 21–09-2023
La Fab., librairie du jour, Place Jean-Michel Basquiat, 75013 Paris, 18h-21h
Friday 22–09-2023
With the magazine Backoffice @ Confort Mental, 41 rue Saint-Blaise, 75020 Paris 19h–21h30
24–11-2023
ESADHaR, le Havre
Colophon
Text
Eric Schrijver
Résidence
Fabrique de Théâtre, Frameries (BE)
Video
Ivone Garganno
Sources
Remy de Gourmont: Introduction, Les Chants de Maldoror, 1920.
Nathaniel Tkacz: The Politics of Forking Paths, 2011.
Kyle Chayka: The Longing for Less Living with Minimalism, 2020.
Eric Schrijver: You don’t wanna be alive when you’re 25, 2011.